Ségolène Royal a pour moi été très forte hier soir. On a enfin pu mettre Sarkozy face à son bilan. On a enfin réussi à montrer combien il était clair que les deux programmes des adversaires étaient démarqués entre des mesures tendant à l'ultralibéralisme d'un côté, et une réinvestiture de la question sociale au coeur de la gestion française de l'autre.

Mais aujourd'hui je suis pessimiste. C'est incroyablement décevant, mais il semblerait que la démagogie va finir par triompher. Du moins, à en juger toute la mauvaise foi de différents commentaires que j'ai pu entendre aujourd'hui.

Je vais essayer d'éclaircir différents points.

Première objection à S.R. Le "flou" du projet économique : Il est bien beau de rétorquer sans fin qu'alors que Nicolas Sarkozy présente un projet "défini", Ségolène Royal est dans un flou total. C'est totalement faux. Au contraire, le projet économique de Ségolène Royal a été défini clairement, et il est inutile de se laisser atteindre par les tentatives de décrédibilisations de M.Sarkozy à son égard. Sur les 35 heures, par exemple. Nicolas Sarkozy, après avoir pesté tous les maux de notre société sur le dos des 35 heures, n'a néanmoins pas pu nier qu'il garderait ce temps de travail comme base comme l'a fait . Pourquoi le projet de renormalisation libérale de la France de Nicolas Sarkozy est-il un désastre sur tous les plans ? Parce qu'il achève de détruire le principal point d'attractivité française dans le contexte de mondialisation : la protection sociale. Ressasser jusqu'à l'usure l'escroquerie d'un "travailler plus pour gagner plus" est grave.. Ségolène Royal a été bien plus claire que ce vague concept manichéiste et caricaturé. Les 35 heures ont été appliquées de façon trop uniforme ; certaines branches de l'économie ont souffert de cet acquis tandis que d'autres l'ont vu accompagner d'une hausse de la productivité ; il est nécessaire de réenvisager branche par branche l'optimisation de ce temps de travail ; cette sélection ne peut en aucun cas être déterminée de manière unilatérale, et il faut donc entamer des discussions avec des partenaires sociaux dans chacunes de ces branches afin de parvenir à un accord. Sans accord, les 35 heures restent appliquées. Alors vraiment, je voudrais bien comprendre ce qu'il y a de flou et d'incompréhensible là-dedans. Le fait est que Ségolène Royal se fait une conception du pouvoir diamétralement opposée à celle de Nicolas Sarkozy, puisqu'elle ne prétend pas à un savoir supérieur à celui des travailleurs de chacunes des branches et veut donc entamer un dialogue chaque fois que cela est possible. Le fait est que Nicolas Sarkozy va imposer de force et de façon unilatérale des mesures qui seront forcément inadaptées et mal accueillies puisqu'elles ne seront pas le fruit du dialogue, des mesures qui donc susciteront le mécontentement. Je ne sais pas comment on ne peut pas saisir des éléments aussi limpides ; mais il est vrai que Sarkozy est très fort en matière de brouiller les cartes et semer le doute.

Seconde objection à S.R. La "colère", le manque de "maitrise", la "perte des nerfs". Alors là, je suis stupéfait. Comment reprocher à Ségolène Royal d'avoir élevé la voix hier quand on voit l'attitude de Sarkozy ? Il est bien facile de parler de sa profonde conviction en des valeurs aussi simples à énoncer avec une émotion jouée faussement nuancée, alors qu'on a été ministre de l'Intérieur pendant les cinq dernières années et que rien n'a changé depuis 2002. Il est bien facile d'accuser Ségolène Royal de s'être laissé prendre par une colère aussi altruiste et désintéressée, en oubliant les crises colériques inconcevables qu'a pu montrer l'instable Nicolas Sarkozy ; si répéter quelques fois l'expression "je suis en colère" à l'égard de Nicolas Sarkozy quant à son attitude parait "totalement honteux", comment qualifier les attaques répétées de Nicolas Sarkozy à l'égard des journalistes, appelant le principal actionnaire de libération Édouard de Rothschild pour qualifier le journal de "journal de merde" un jour, indiquant à la direction de France 3 qu'elle avait de la chance de ne pas encore pouvoir être "virée", se plaignant à Plantu de caricatures. Inutile de revenir sur la responsabilité que fait porter mai 68 à tous les maux actuels, quarante années d'histoire plus tard, de l'insécurité au chômage, tant ces attaques sont ridicules et déformatrices. M.Sarkozy insinue-t-il qu'il veut revenir à la situation d'avant Mai 68, et abandonner les acquis sociaux et le renouveau économique qui lui ont succédé ?

Troisième objection à S.R. La crédibilité du projet socialiste et le financement. C'est bien beau de parler de programme irréalisable et irréaliste. J'aimerais bien que tout le monde prenne conscience de l'énormité qu'a confirmé hier M.Sarkozy, la baisse de 4 points de PIB le taux de prélèvements obligatoires en cinq ans. En clair, diminuer les recettes fiscales de 70 milliards d'euros. Plus de quatre fois le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche. A moins de le financer par de l'endettement public, ce qui est très irresponsable et ne semble pas être le cas, M.Sarkozy déclarant vouloir réduire l’endettement public et maintenir le déficit dans les limites fixées par l’Union Européenne, c'est totalement impossible. Ce n'est clairement pas crédible.

Il y a un point qui me touche particulièrement. Ségolène Royal veut augmenter le budget de la recherche, de 20 milliards d'euros comme je l'ai déjà dit, de 10% par an. Sarkozy ne fera rien. Comment vais-je pouvoir faire de la recherche dans une telle situation dans quelques années ? La France est déjà en train de perdre toute la science qui est l'enjeu de l'avenir et qui représente le plus grand potentiel de retombées économiques à long terme. Trois solutions: ou bien je me sacrifie à la science française et à la France et je tente de survivre "à corps perdu" ; ou bien je me fais happer par la recherche privée, c'est-à-dire par une recherche qui elle n'aura aucune retombée économique directe sur le pays ; ou bien je me fais happer par l'étranger, lorsque les Etats-Unis proposent à leurs chercheurs des salaires quatre à cinq fois plus élevés.

Il faut croire que les gens ne comprennent pas et que toutes les dénonciations sont vaines. Sarkozy a parfaitement joué son rôle de victime impuissante agressée, baissant la tête, n'osant pas regarder la méchante Ségolène Royal, et garantissant à toutes les familles le droit d'aller demander à l'état de scolariser leur enfant handicapé en cinq ans (sic).

Quelle sera la situation dans cinq ans de gouvernement UMP ? Hausse du chômage, hausse des disparités sociales, hausse des inégalités devant l'éducation, hausse des violences et de la délinquance, baisse du pouvoir d'achat, baisse de la stabilité économique, baisse de la compétitivité française sur le plan mondial, baisse du capital culturel français, hausse des écarts salariaux entre chefs d'entreprises et travailleurs... Et de chacunes de ces conséquences on peut tracer de nouvelles, toujours plus dures et graves. En réalité, les objections soulevées ici ne sont représentent même pas la partie immergée de l'iceberg des incohérences et des menaces du projet d'investiture de Nicolas Sarkozy.

En attendant que viennent les augures, je ne peux qu'espérer une prise de conscience massive. La déception que j'éprouve déjà à l'idée qu'une majorité de français se déclarerait prêt à voter pour M.Sarkozy est renforcée par le fait que j'avais vraiment l'espoir et l'impression que les choses changeraient sous un nouveau gouvernement avec les élections présidentielles. En vérité, elles changeront ; en pire.